vendredi 5 octobre 2012

Chasses parisiennes






Trophées de chasse, bas relief en plâtre, 8 rue du Parc de Montsouris, XIVe ardt.







Quel est le gibier le plus commun qu'on peut chasser à Paris ? Nous avons trouvé un texte qui répond à cette question. Nous le présentons ici " enluminé " des plus beaux bas-reliefs de vénerie découverts sur les murs de la ville.












Sport parisien. - Une chasse au rat.

Il ne peut manquer que nous intéressions médiocrement les personnes de complexion délicate qu'une susceptibilité nerveuse ou une prévention irraisonnée a rendues les irréconciliables ennemis du genre mus. Nous n'espérons pas captiver davantage les hommes de sens rassis qui estiment d'une manière générale la chasse un exercice violent et contraire à la tranquille assiette de leur tempérament flegmatique ; ni même ces chasseurs de basse volerie qui, comme les « oiseaux vilains, » ne chassent que pour la cuisine. Sans nous attaquer ici au préjugé futile et indéfectible qui a peut-être empêché qu'a l'imitation des Chinois, -les vétérans de la civilisation, - on utilisât la chair du rat au profit de nos jouissances gastronomiques, nous dirons accidentellement, pour les esprits positifs, que l'art du mégissier a tiré de la dépouille de cet animal un produit très estimé pour la fabrication des gants « de Suède ; » et celle considération économique fera passer d'aventure, sous le prétexte de son utilité relative, un genre de chasse qui n'a pas encore sa place parmi les exercices cynégétiques.






Imposte de l'Hôtel du grand Veneur, 63 rue de Turenne, IIIe ardt.





Les véritables amateurs de la vénerie, au contraire, ceux qui poursuivent dans la chasse un objet plus élevé qu'un calcul intéressé ou une simple satisfaction sensuelle, nous liront peut-être avec intérêt. Ceux-là ont conservé dans sa fleur cet esprit d'entreprise, et celle bravoure et celle généreuse impulsion qui dirigèrent les premiers chasseurs, ils savent que, bien longtemps avant que l'art des Borel et des Carême eut accommodé des salmis et des chartreuses, « une nécessité pressante, un dévouement noble, lancèrent les hommes à la poursuite des animaux et firent excuser de sanglantes immolations. » Pour eux la chasse avec ses alternatives, ses difficultés et ses fatigues est une image en raccourci de la guerre, un exercice mâle, favorable au développement du corps et de l'esprit. Avant tout, ce qui leur plaît, c'est la lutte, et, par ce motif, ils préfèrent les chasses qui mettent en jeu au plus haut degré l'activité, la force, l'adresse, le courage, toutes les facultés vives. Nous ne dirons pas emphatiquement que la chasse au rat favorise l'essor des passions nobles qui font de la haute vénerie un passe-temps intelligent, ni le plein exercice des qualités viriles qu'elle suppose ; mais on verra par la relation suivante qu'elle peut fournir un genre de sport qui n'est pas absolument dépourvu d'intérêt et d'agrément, même pour les vrais chasseurs.







 " Les Chasseurs d'Aigles ", 1900,  bronze de Jules Félix Coutant, Muséum national d'Histoire Naturelle, rue Buffon, Ve ardt.









Une invitation de M. M..., l'un des représentants les plus considérables de cette verte jeunesse qui a remplace la jeunesse dorée, et ratier déterminé, nous avait convoqué à une partie de rat en compagnie d'amateurs pris dans les rangs les plus distingués de la société parisienne. Malgré un froid très vif, à minuit tous les chasseurs se trouvèrent à l'assemblée, et nous nous rendîmes place Favart, où nous attendait l'équipage. Il n'est pas inutile de dire en quoi consiste l'équipage du rat. Le nôtre se composait de tourtoires ou gaules, semblables au houssines employées pour battre les buissons dans les battues ; de vouges, sorte d'épieu armé d'un large fer, dont on verra l'usage ; d'une cage a trois panneaux pleins et à claire-voie sur la quatrième face ; de bourses ou pochettes en filet, semblables à celles qui servent pour le lapin; de trois chiens d'un bel ordre: Trim, Miss et Lolotte, conduits par Étienne et Honoré, les deux plus beaux chasseurs de rat qui soient au monde.






Lévrier chasseur de lièvre, bas relief, 16 rue de l'Arcade, VIIIe ardt.







Trim est un superbe terrier russe de trois ans, roux et légèrement quadrillé de poil noir, bien reinté, bien gigoté, le jarret droit, la cuisse ronde, la hanche large, la tête forte, gorju « comme un taureau de Thessalie, » comme dit Shakespeare du dogue anglais. Il chasse à vue et au nez, a la menée belle et dérobe la voie, c'est-à-dire chasse sans crier. Il joint à toutes les qualités qui font un chien de créance le courage, la vivacité, la force, la résistance à la fatigue qui caractérisent la race des terriers. - Miss n'est pas, à proprement parler, un terrier ; elle appartient à cette race hybride que les Anglais appellent arlequin, et qui n'est surpassée par aucune pour l'adresse et l'intrépidité. Elle a d'ailleurs la forme d'un parfait terrier anglais ; elle est de couleur ardoise grivelée et tachetée de noir. Miss est une chienne de deux ans, robuste, pleine de feu, ayant une grosse tête et présentant un grand développement, ainsi qu'une grande mobilité des lèvres et de la peau du nez, trois particularités caractéristiques d'un chien de haut nez. Elle rebaudit, prend bien le vent, rabat avec intelligence, et gueule bellement un rat. - Lolotte est un terrier de cinq ans, blanc, avec une tache noire an front; ce qui est un signe d'adultération de sa race, car le véritable terrier est blanc ou noir sans mélange. Elle a à un suprême degré toutes les qualités de son espèce, l'assurance, la résolution et la combativité ; mais elle a des défauts qui la rendent d'un mauvais service pour une chasse en règle, Lolotte est en effet un chien herbaut, c'est-a-dire bouillant à l'excès, pillard, chassant de gueule, sujet à sur-aller, bricolant, et tout de suite à bout de voie. Elle chasse moins bien le rat qu'elle ne chasse le chat.





Chat et Rats, Bas relief, rue du Mont-Cenis, XVIIIe ardt.







Étienne était chargé de l'office de valet de limier et devait mener la quête. Judicieux et exact, doué d'un sang-froid imperturbable et d'une sagacité merveilleuse pour discerner le jeu de l'animal qu'il chasse, Étienne n'a pas son pareil pour faire chasser et appuyer les chiens. Honoré est, dans le rating-sport, une des individualités les plus complètes et les plus brillantes qui se puissent rencontrer. Il a, au suprême degré, l'instinct de la chasse: il est rusé, patient, admirablement rompu à toutes les pratiques de la vénerie, et ne craint pas les griffades. Nous ne connaissons pas de piqueur de grand équipage qui puisse lui être comparé pour la sûreté du coup d’œil et la prestesse du coup de main. Avec quelle habileté il sait mettre les chiens sur la voie, les diriger et les empêcher de prendre le change! Avec quel feu il sait les baudir ( Exciter du cor et de la voix Ndr ) à sonner du gros ton .Ces qualités éminentes le destinaient à marquer dans la louveterie ou le vautrait (Grand équipage de chiens pour la chasse aux sanglier. Ndr ) : une inclination toute particulière l'a poussé à être le premier chasseur de rats. - Honoré fut chargé de la bourse.





Enfants chassant un sanglier, plâtre, 3 rue Gutenberg, Montrouge, Hauts-de-Seine.





Enfants chassant un sanglier, plâtre, 3 rue Gutenberg, Montrouge, Hauts-de-Seine.







Après que M. M... se fut assuré que le service de la chasse avait été bien disposé, il donna le signal du départ, et la compagnie se mit en marche. On avala la hotte au seul Trim et on attaqua. Étienne prit les devants, ouvrant la quête. Nous battîmes d'abord les rues Marivaux, de Grammont, de Ménars, la rue Neuve-Saint-Augustin, la rue Gaillon et de la Corderie-Saint-Honoré, sans succès. Outre un froid très-vif, un clair de lune d'une sérénité parfaite contrariait la sortie du gibier; et de plus, à cette heure de la nuit, les rues n'étaient pas encore assez silencieuses pour inviter les rats a faire leur nuit. On doit regarder comme une des principales difficultés de cette chasse le peu de portée des voies, qui sont toujours courtes, brusquement interrompues par des obstacles; qui s'entrecroisent et exposent le chien à prendre le change. L'attention du chasseur doit être sans cesse éveillée sur cet inconvénient; il faut qu'il sache abandonner résolument une piste perdue ou froide. Nous arrivâmes au marché Saint-Honoré sans avoir pu rabattre. Mais la Trim changea subitement de voie et se lança impétueusement à là poursuite d'un greffier, - vulgairement un chat, - il s'enfuit avec d’effroyables jurements. Nous ne pûmes lancer la chasse dans l'intérieur du marché, à cause, des obstacles que présentaient les établis et l'amoncellement des marchandises ; nous nous bornâmes a battre les côtés nord et ouest de la place, et nous entrâmes dans la rue Saint-Honoré, que nous remontâmes.

Miss fut ôtée de laisse et empauma la voie avec une incroyable ardeur ; elle rivalisa gaillardement avec Trim. parvenu presque à l'angle de la rue Castiglione, celui-ci tomba en arrêt à la bouche d'une gargouille, gentiment rebaudi. Étienne se porta au coude formé par le tuyau de descente aboutissant à la gargouille, et introduisit sa vouge par le coulisseau de curage de façon à intercepter la retraite au rat au moyen du fer plat qui termine la vouge. Honoré présenta la bourse à l'orifice de la gargouille et jeta à Trim ce commandement: A ta place! Le docile animal courut aussitôt près du tuyau de descente et ne quitta pas du nez le rat acculé entre la vouge et la bourse. La persistance du chien avertissait de la présence de l'animal dans le conduit de la gargouille ; Étienne fit avancer sa vouge dans la rainure, et le rat, chassé par l'instrument, se précipita dans le goulet du filet : nous venions de prendre notre première pièce.





Chasse au sanglier, bas relief, 16 rue de l'Arcade, VIIIe ardt.







Cette capture, faite dans des conditions aussi simples, ne satisfit pas complètement quelques-uns de nos chasseurs ; ceux-ci demandèrent à laisser courre. En conséquence, on se transporta dans la rue Castiglione, et Honoré fit le lancer de la bête qui tira de longue et gagna du champ. Mais Trim et Miss furent bientôt sur ses talons. L'animal donna des crochets, essaya des refuites, et, après s'être fait battre quelques secondes, à bout de force et de ruse, fut saisi par Miss et expédié en un tournemain. Ce premier exploit excita les chiens qui se remirent en quête avec un feu tout nouveau. Nous pûmes admirer l'intelligence avec laquelle ces deux intrépides chiens démêlaient les voies, les suivaient et les abandonnaient d'eux-mêmes lorsqu'ils étaient avertis par quelque obstacle que le rat était parvenu à un accul d'où la vouge d' Étienne ne pouvait le relancer.





Lévrier chasseur de lièvre, bas relief, 16 rue de l'Arcade, VIIIe ardt.








Il arrive aussi quelquefois que la bête surprise et serrée de près, ne pouvant faire sa retraite, suit en se rasant les ruisseaux couverts qui bordent certaines rues. Il est impossible dans cette position de la forcer, et elle a presque, toujours le temps de rentrer au fort avant que la vouge lui ait coupé la fuite. On peut dire des rats comme des lièvres que. chacun d'eux a des trucs particuliers qui dépendent de la nature du terrain, et forcent à les chasser d'une manière spéciale.







Tête de loup, haut-relief, Maison Brongniart, Hôtel de Luppe, 22 rue Oudinot, VIIe ardt.







Naturellement grossier et poltron comme le loup, le rat est, comme celui-ci, ingénieux par besoin et hardi par nécessité. Il biaise et ruse fort adroitement quand la poursuite est molle ; mais, s'il est serré de près, il s'enhardit, et, sur ses fins, se retourne et fait tête au chien. D'autres fois, au contraire, quand il est relaissé, il se met sur le ventre et se rend à la manière du lièvre.








 chasse au lièvre, bas relief, 16 rue de l'Arcade, VIIIe ardt.





Ce n'est pas seulement l'âge qui établit des différences profondes dans les mœurs et le caractère des rats ; Honoré a pu constater, dans le cours d'une longue pratique, que leurs habitudes et leur moral se ressentent considérablement des quartiers qu ils habitent. Ceux qui plient dans des rues passantes, plus familiarisés avec le bruit, montrent plus d'assurance ; ils sont en général plus rusés et ont des retours qui exposent les chiens à des méprises. Dans les quartiers solitaires et tranquilles, leur naturel a quelque chose de farouche ; ce sont alors des animaux cruels. Ceux-là n'ont pas de feintes, et il faut les chasser de pied ferme. On ne les voit pas essayer de percer, car ils ne courent jamais droit devant eux ; mais, comme le sanglier aux abois, ils tournent fréquemment sur eux-mêmes et s'efforcent de rentrer dans le même quartier.

La différence des pelages est au moins aussi grande que celle des caractères, et il est à présumer que cette variété provient d'influences purement locales. Le rat noir parait être le plus dangereux ; il est d'une constitution robuste et d'un naturel féroce. Il en est qui passent, par des dégradations de teintes, du noir à toutes les nuances du gris ; ceux-là sont encore actifs et doués d'une grande vivacité. Les pelages roux au contraire, qui comprennent une variété presque infinie de tons, depuis le brun-rouge jusqu'à l'orangé foncé, offrent un poil délavé, c'est-à-dire mollasse et blafard, ce qui est un indice de faiblesse et de pusillanimité. Les rats de celle robe sont d'une chasse peu animée. Ces différences de couleur constituent pour Honoré, - et sans doute pour Honoré seul, - deux races très distinctes qu'il classe méthodiquement pour son usage personnel en russe, suédois, norvégienne, etc.. Ces appellations, nous devons le déclarer, ne cachent aucune prétention de naturaliste ; elles sont uniquement un moyen de signalement comme les veneurs ont coutume d'en user pour connaître la bête à laquelle ils ont affaire.





Enseigne " Au Chat Noir ", corps de métier indéterminé, fin XVIIIe siècle, provient de la rue Saint Denis, Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, IIIe ardt.









La chasse continua, sans aucun incident remarquable, jusqu'à la rue Royale; mais, à l'angle de la rue Saint-Florentin, elle fut soudainement ravivée par la poursuite que Trim et Miss donnèrent à un superbe greffier, lequel succomba, après une défense opiniâtre, sous la dent de l'impitoyable Miss, au milieu de jurements et de frouements qui durent réveiller en sursaut les paisibles habitants du quartier. Nous avions pris jusqu'ici à peine quatre ou cinq rats après plus d'une heure et demie de chasse. Nous résolûmes de chercher des quartiers plus giboyeux, et nous revînmes sur nos pas par la rue Neuve-de-Luxembourg et la rue Saint-Honoré. Mais, arrivés à la hauteur de la rue des Frondeurs, Miss et Trim donnèrent des signes d'une si vive impatience, et s'enfoncèrent si impétueusement dans celle direction que nous ne songeâmes pas à les rappeler. Lolotte fut tirée de laisse, et s'emporta dès son entrée en chasse au point qu'elle n'entendait plus aucun appel et chassait sans mesure, babillant et ne rabattant point ; elle apporta un moment une confusion extrême parmi les chasseurs et les chiens. Nous nous aperçûmes bientôt que Lolotte avait bien moins le sentiment du rat que celui du chat, et qu'entraînée par un instinct pervers, elle prenait toujours le change. On essaya inutilement de la maintenir dans la voie, mais elle en sortait avec ivresse au plus petit vent de sa tête. Lolotte serait certainement une source de fortune aux mains d'un spéculateur qui voudrait entreprendre sur une grande échelle la préparation de la gibelotte populaire.


A part le dépit d'Honoré, qui voyait le succès de là chasse compromis par les excentricités de Lolotte, cet incident égaya un peu la partie. On jugea cependant qu'il convenait de ramener la chasse sur son véritable terrain , et la pétulante l.olotte fut mise à l'attache. Nous prîmes encore, dans les alentours du Palais-Royal, de la Banque et de la halle aux Blés, quelques rats, pour la plupart suédois, c'est-à-dire, je crois, de l'espèce la plus indolente et la plus apathique : nous étions vraiment humiliés de nos succès.





Enfants chasseurs de lièvre, Musée de la légion d'honneur,1 rue Solférino, VIIe ardt.







Nous arrivâmes ainsi à la pointe. Saint-Eustache après trois heures de marche, et nous y finies une halte pour rafraîchir les chiens. A la reprise, il nous parut que le jeu de Trim, tout savant qu'il était, manquait d'un peu de variété, et, comme il nous ennuyait de prendre des anachorètes dans leur cellule, nous remîmes Trim au collier et Lolotte fut de nouveau ramenée à la bête, — hélas! à sa bête ! — car aussitôt lâchée, elle entra dans la voie d'un greffier et le poursuivit avec une fureur insensée. Lolotte fut sévèrement réprimandée pour cette incartade, et l'on eut lieu de penser que la réprimande porterait ses fruits, car, remise sur la voie du rat, elle relança quelques secondes après un superbe norvégien à sa troisième tête, selon l'estime d'Honoré, allégié, d'un corsage fluet, qui allait d'assurance et le pied serré. Lololle s'abandonna sur la trace avec un tel feu. qu'elle prit bientôt les devants sur la bête et laissa à celle ci le temps de refuir, Elle barra pendant quelques instants pour chercher le retour et, ayant aperçu l'animal qui rasait les murs, elle s'élança avec des babils et gueula sa proie au pied levé. On lui donna la curée, afin de l'illustrer.







Chasse au sanglier, bas relief d'Auguste Lechêne, 1840, ancien restaurant " La Maison Dorée ",  20 boulevard des Italiens, IXe ardt.






Après cet important fait de chasse, nous nous remîmes en marche. Étienne qui tenait les devants, avait mille peines à mettre la sauteuse Lolotte dans le lit du rat. il ne cessait de lui parler et de la hnter; l'incorrigible animal était incapable de se coller à là voie, et semblait avoir l'odorat excité par d'autres fumées. En effet, à la hauteur de la rue Saint-Pierre-Montmartre il courru tout court, se sépara du quêteur, et quelques secondes après, il se produisit un épouvantable charivari. Lorsque nous arrivâmes sur lieu du tumulte nous assistâmes à une scène de carnage : Lolotte était aux prises avec un greffier d'un grand corsage, agile, vigoureusement musclé et qui opposait une résistance désespérée. Le chat, animé d'une fureur au moins égale à celle de Lolotte se maintenait sur le terrain, tête à l'ennemi et fortement appuyé sur ses pattes de devant. il se dérobait aux coups de gueule du chien en rompant à droite et à gauche, toujours ferme sur la défensive et détachant les griffades avec une adresse inconcevable. Lolotte. se ruait sur la bête avec un courage aveugle, n'essayant ni de ruser ni de se préserver ; mais le chat, toujours sur ses gardes, esquivait avec agilité, et à chaque nouveau choc, endommageait grièvement l'ennemi. La lutte se prolongea ainsi pendant près de deux minutes sans que la vivacité de l'attaque ni l'opiniâtreté de la résistance ralentissent sensiblement. Enfin Lolotte, profilant d'un écart un peu trop obliqué de son adversaire, fondit par le travers avec la rapidité de l'éclair, l'abordant par le flanc, gueula vigoureusement l'infortuné greffier au bas de la nuque et resta maître du terrain. Jusqu'au dernier souffle, de vie, la pauvre bêle, dont les moyens de défense étaient complètement paralysés par les brusques saccades que le chien lui imprimait, fit entendre un effroyable tintamarre composé de gémissements stridents, de cris frénétiques qui se terminèrent decrescendo en un grondement sourd qui témoignait de la persistance du sentiment de la fureur jusqu'à là mort.






Chat en haut-relief, pierre, 170 rue de la Convention, XVe ardt.






Cette scène de carnage nous avait impressionnés péniblement. Après une aussi brillante expédition, nous ne pouvions nous méprendre sur les vrais instincts de Lolotte : un penchant irrésistible la tournait vers la guerre; c'était un chien de combat, rien de plus. Elle fut bardée de nouveau, et elle suivit à la laisse ; nous jugeâmes qu'elle avait déjà contristé un assez grand nombre de mères Michel, et ne voulûmes pas qu'elle se souilla de nouveaux meurtres.





" La mort du lion " par Edmond Desca, 1929, Parc Monsouris, XIVe ardt.






Trim fut encore une fois débouclé, et il s'acquitta de son devoir avec celle intelligence, celle honnêteté de sentiments qui font de lui un chien mile et profondément consciencieux. Il nous donna quelques instants après une preuve de ce naturel intelligent. Après avoir barré ( «  Un chien, barre lorqu'il chasse en croisant la voie. » Ndr ) quelque temps sans pouvoir parvenir à trouver le vent, il tomba subitement sur une trace au commencement du faubourg Montmartre, et s'y colla avec tous les signes d'une inquiète agitation; on voyait qu'il prenait une peine infinie pour garder le change et ne pas être en défaut. Honoré s'aperçut de ce travail, et, pressentant quelque circonstance extraordinaire, se mit à appuyer le chien, qui vint se placer eu arrêt à l'orifice d'une gargouille en rebaudissant avec une satisfaction marquée. Étienne se porta avec sa vouge à l'extrémité opposée, et rebattit vers le goulet de la bourse sans amener. Pendant ce temps, Trim restait le le nez collé contre la muraille, qui était revêtue en cet endroit d'un parement en bois. Étienne renouvela à plusieurs reprises le curage du conduit, et toujours sans succès. On crut que la bête avait eu le temps de gagner un accul dans l'épaisseur du mur. d'où il ne serait pas facile de la déloger. En conséquence, Étienne chercha à enlever Trim, qui tint bon et se refusa. Il se mit à aboyer, et ses aboiements s'adressaient si évidemment à Miss, que celle-ci, qui suivait une piste du coté opposé de la rue, accourut et partagea bientôt l'anxiété de Trim. Étienne se ravisa, et, s'approchant de l'endroit où les deux chiens étaient en arrêt, il se convainquit qu'il existait la un de ces panneaux derrière lesquels on a coutume de renfermer les volets de boutique pendant le jour. En un clin d'œil le panneau fut ouvert par une pesée de la vouse, et trois énormes rats s'élancèrent de cette cache dans des directions différentes. Les deux chiens en coururent deux et les attrapèrent; le troisième fut pris quelques instants après à la bourse : Trim venait de mettre le sceau à sa gloire par celle importante capture.








Chasse au sanglier, bas relief, 16 rue de l'Arcade, VIIIe ardt.










Chasse au sanglier, bas relief, 16 rue de l'Arcade, VIIIe ardt.





Nous eûmes encore quelques beaux succès jusqu'à la rue des Martyrs. Nous devons ajouter que de tous les quartiers que nous avions quêtés jusque-là, celui du faubourg Montmartre est incomparablement le plus giboyeux et celui qui offre les plus beaux échantillons de rats. Ceux que nous y prîmes pouvaient passer pour des rats mères , j'en ai rarement vu d'aussi énormes et de mieux fourrés d'embonpoint. Le dernier que nous capturâmes était vraiment phénoménal; c'était un suédois dix cors en pleine porchaison, ( État du sanglier dans la période où il est le plus gras et le meilleur à manger. Ndr ) et je crois qu'Honoré, qui a toutes les traditions de la grande vènerie, lui donna le chandelier par figure. Celle curieuse bête était en dimension, en volume et en poids égale, presque à un jeune lapereau, et méritait à bon droit de figurer parmi les spécimens rares de la galerie zoologique; il a manqué un naturaliste, dans notre chasse pour que cet honneur lui fit assuré. Je suis persuadé que sa dépouille eût ganté à l'aise une des mains de Mlle L.., artiste dramatique, surnommée Longue-Main, comme le roi de Perse Artaxerce; il faudrait une chasse aussi miraculeuse que la nôtre pour ganter la seconde ; cela n'est vraiment pas probable.







Haut-relief, 5 rue Saint Benoit, VIe ardt.



Étienne fit le compte des prises : nous étions à notre trente-troisième pièce. Ce résultat était superbe ; Honoré n'en était pas moins fier que s'il eût été chargé de trente-trois têtes empaumées. Nous partagions tous plus ou moins cet orgueil: Trim et Miss semblaient aspirer à une satisfaction plus positive ; ils lorgnaient autour de la cage d Étienne, comme pour réclamer une belle curée. Ce n'était ni le lieu ni l'heure pour une pareille cérémonie, et il fut décidé qu elle serait remise à l'après-midi de ce même jour. Il était quatre heures du matin, et nous étions excédés de fatigue ; la compagnie se sépara.







Cerf cerné par la meute, Bas relief en plâtre, sur un bâtiment de 1880, 5 rue Larrey, Ve ardt. Plus de détails dans le billet L'empailleur.





En voyant Étienne, qui venait de coupler les chiens, ramener l'équipage et s'éloigner chargé de notre butin, je fis cette réflexion que notre chasse n'était pas, à tout prendre, dépourvue d'un caractère d'utilité. Je la comparais, pour son objet comme pour ses ressources, à la chasse au renard, dans laquelle il s'agit moins d'une récréation de sport que de se défaire d'un animal nuisible : il faut tuer la bête, c'est la grande affaire, de là découle secondairement le plaisir de la chasse, je me rappelai que, selon le calcul d'un rater anglais qui a fait une élude approfondie de la matière, une couple de rats doit produire, au bout de trois ans, 646 808 rats, qui consomment journellement la subsistance de 64 608 individus. A ce point de vue, il me sembla que je venais de rendre à la société parisienne un service qui n'était pas à dédaigner. Je fis part de celle réflexion à M. M..., qui me dit en riant : «N'exagérons point : l'exagération est familière aux chasseurs. Je croyais m être amusé seulement, je vous remercie de m'avertir que j'ai fait quelque chose de plus utile : - allons nous coucher avec le juste orgueil que dût ressentir Hercule après avoir terrassé le lion de Némée! »
Ferré. 

Hôtel Salé fini en 1659, musée Picasso, 5 rue de Thorigny, IIIe ardt.







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