jeudi 10 novembre 2011

Christus consolator



Christus consolator, peinture sur lave de Cornelia Scheffer-Marjolin, d'après Ary Scheffer. Sépulture Scheffer-Renan,
Cimetière de Montmartre, XVIIIe ardt.

Où l'on découvre qu'une image assez mal reçue devint, maintes fois reproduite, une icône de la libération des peuples et de la lutte contre l'esclavage




Christus consolator, peinture sur toile de Ary Scheffer, 1837. Amsterdam Museum, Amsterdam.


M. Ingres a une petite église de fanatiques et il laisse la foule indifférente ; M. Delaroche est fort admiré des bourgeois et contesté par les artistes ; Delacroix soulève la passion ou l'animosité. Ary Scheffer seul a le privilège d'une admiration universelle, quoique les vrais artistes ne se dissimulent pas l'incertitude et la débilité de son exécution.

Le Salon de 1846, Théophile Thoré




ARY SCHEFFER

A M.LE DIRECTEUR DE LA GAZETTE DES BEAUX ARTS

Au moment où l'on annonce une heureuse nouvelle pour tous vos lecteurs, pour tous les amis de l'art noble et sérieux -- la prochaine exposition des plus belles œuvres d'Ary Scheffer -- vous me demandez de joindre à son portrait, dès longtemps préparé par vos soins pour le moment de ce solennel hommage, quelques détails sur l'histoire de sa vie. C'est un pieux devoir que je suis prêt à lui rendre, pour répondre à votre pieux souvenir et pour le compléter.
(…)
Ary Scheffer est né à Dordrecht en 1795. La Hollande venait d'être conquise par l'armée de Pichegru, et, prenant le nom de République batave, elle apportait huit départements nouveaux à la République française. Ary Scheffer est donc Français par la naissance comme par l'éducation et les œuvres, Français devant la loi civile comme devant l'autorité du goût. Il était l'aîné des trois fils d'un peintre qui n'eut pas le temps de mûrir son talent naturel, et qui, mort jeune, les laissa de bonne heure orphelins.
(…)
Né artiste, il se montra tel dès l'enfance. Amsterdam renferme encore quelques vieux amateurs qui n'ont point oublié que, vers l'année 1807, au début du règne de Louis Bonaparte, un tableau reçut les honneurs de l'exposition publique, qui était l'ouvrage d'un enfant de douze ans. Cet enfant était Ary Scheffer.
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L'atelier d'Ary Scheffer, peinture de Ary-Johannes Lamme, 1851. Musée de la Vie Romantique, IXe ardt.



Ary Scheffer entra, en 1812, dans l'atelier de Pierre Guérin.
Certes, l'auteur de Marcus Sextus était un peintre de talent, et de plus un homme instruit, lettré, un de ceux qui ont raison de croire que, pour être avec succès un homme spécial, en quelque genre que ce soit, il faut être d'abord un homme général par l'éducation et les connaissances. Mais il avait plié sous le joug du préfet de l'art Impérial, Louis David, non moins despotique dans son département que le maître du monde sur son trône. Il s'était soumis lorsque tous se soumettaient, lorsque, seul, Gros ajoutait aux mérites de son maître deux grands éléments de l'art de peindre, trop négligés par toute l'école, la couleur et le mouvement ; lorsque, seul aussi, Prudhon protestait contre la pose académique au nom du naturel et de l'élégance, et, tandis que tous les autres, comme on disait alors, restaient voués au culte de Mars et de Bellone, seul sacrifiait aux Grâces. Pour juger de quelle faible utilité purent être à Scheffer les leçons d'un tel maître, à l'époque où cette école de David, grande à son heure, allait dégénérant et s'éteignant dans les froides imitations des disciples, écoutons Scheffer lui-même. Quinze ans après, à propos du Salon de 1828, et dans un des trop rares écrits qu'il a laissés, il jugeait ainsi l'école qu'il traversa sans y rien apprendre, si ce n'est, comme nous l'avons tous fait dans les collèges, l'art d'apprendre plus tard, et par soi-même : « Cette période de cinquante ans (entre 1778 et 1828) embrasse la vie tout entière de l'école classique, depuis sa naissance au sein d'une réaction contre le faux goût, la futilité, l'incorrection et l'indécence, jusqu'à sa décrépitude. Cette école, durant ses années de virilité, ne l'a cédé à aucune autre ; elle a marché avec une fermeté admirable vers le but exclusif que sa tendance lui assignait ; elle l'a atteint si parfaitement qu'elle a fait un moment illusion sur tout ce qu'elle laissait en arrière, et, par la puissance du talent, par l'attrait de la nouveauté, elle a conduit toute une génération à n'aimer, en peinture, que la correction des contours, à n'être sensible, en fait de beauté, qu'au type des statues et des bas-reliefs antiques. Tout cela ne pouvait durer qu'un temps, parce que l'art de peindre, loin d'avoir pour bornes un certain type de dessin, ne se borne pas au dessin lui-même ; qu'il renferme encore le coloris, l'effet, la reproduction fidèle des passions, des lieux, des temps ; que l'histoire tout entière, et non pas seulement quelques siècles, entre dans son domaine. Après avoir contemplé jusqu'à satiété des figures grecques et romaines, le public, blasé par ce plaisir, ne pouvait manquer d'en désirer d'autres. »
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Echappée à la discipline des camps, la France reprit, sous la Restauration, sa lutte séculaire pour toutes les libertés humaines, et, dès que l'intelligence put tenir tête à la force, que la tribune se réveilla de son long sommeil, que la littérature, retrempée aux combats de la presse, leva le drapeau révolté du romantisme, l'art recouvra du même coup sa nécessaire indépendance, et chaque artiste put reprendre les libres allures de son penchant naturel. Scheffer se jeta des premiers dans cette sainte croisade. Tandis que, vers 1819, Géricault exposait son Radeau de la Méduse et Delacroix sa Barque du Dante, Scheffer plaçait, à côté de ces deux proclamations de la révolution commencée, son tableau des Bourgeois de Calais. Là, il ne brisait pas encore pleinement avec les traditions de l'art impérial, il faisait encore un pur tableau d'histoire ; mais du moins on devait prendre cette page plutôt pour l'œuvre d'un élève de Gros que pour celle d'un élève de Guérin et de plus, peut-être encore à son insu, Scheffer y révélait tout d'abord, avec sa véritable vocation, ses deux qualités supérieures, l'une, éminemment française, et qui se trouve parmi nous aussi bien. dans l'ordonnance d'un livre ou d'une pièce de théâtre que dans celle d'un tableau, la composition ; l'autre, qu'ici même nous appelions dernièrement, depuis Giotto, le grand progrès des modernes sur les anciens, l'expression. Scheffer montra dès le début et conserva toute sa vie le don d'exprimer les passions humaines et jusqu'aux plus intimes pensées de l'âme ; il gardera l'honneur d'avoir donné à l'art une impulsion nouvelle et puissante dans la voie de ce progrès, de cette supériorité.
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C'est alors que parurent coup sur coup La Veuve du soldat, Les Enfants du marin, Le Retour du conscrit, La Soeur de Charité, L'Incendie de la ferme, la Scène d'invasion en 1814, etc. Ary Scheffer s'arrêta quelques années dans ce genre, modeste et secondaire sans doute, mais qu'il avait créé, qui était de lui, qui était alors lui-même. Il s'y trouvait retenu par son goût pour des sujets aimables que lui. fournissaient sans relâche son imagination et son cœur, par le succès assuré, constant, par les commandes nombreuses, enfin, je le dirai sans honte, je le dirai à sa louange, par le besoin impérieux de rendre son pinceau productif et de lui faire rapporter beaucoup d'argent. Scheffer n'était pas devenu seulement le père de sa famille, il était dès ce temps, il fut toute sa vie, une sorte de trésor commun où venaient puiser dans leurs besoins ses amis, ses confrères, où venaient puiser toutes les infortunes. Jamais il ne sut refuser un secours ou un service. Mais en outre, son intime liaison avec le général Lafayette et les chefs de l'opposition libérale, à laquelle il appartenait avec conviction et dévouement, l'avaient jeté dans les tentatives qui précédèrent le glorieux triomphe de 1830. Il y engagea sans marchander ses bénéfices passés, ses bénéfices à venir ; il y engagea toute sa fortune, c'est-à-dire son talent et son travail, comme il y engageait jusqu'à sa liberté, jusqu'à sa vie.


The Souliot Women 1827
Femmes souliotes, Ary Scheffer, 1827. Paris, Musée du Louvre

Mais, si sûrs qu'ils fussent du succès, ces petits poëmes familiers ne pouvaient être le dernier mot d'Ary Scheffer. Tout en les produisant avec abondance, son âme se tournait vers un idéal plus élevé, et sa main, mieux assurée par cette série de premiers travaux, se formait à devenir le digne instrument d'une intelligence toujours agrandie toujours montant de région en région. Les Femmes Souliotes parurent au Salon de 1827. C'était encore un sujet actuel, puisant une partie de son attrait dans les opinions et les passions du jour ; c'était aussi un sujet pathétique et dont l'effet principal résultait de la puissance d'expression. Mais le cadre s'était élargi, et avec le cadre s'élargissaient le style et la manière. Quel progrès, des petits drames intimes à cette grande page d'histoire, touchante et magnifique Il avait fallu que l'artiste trouvât, avec le solide et hardi dessin des grandes compositions, toutes les ressources indispensables du coloris ; il avait fallu qu'il devînt peintre complet. Le succès de ce tableau fut aussi grand que légitime ; il marque l'entrée de ce qu'on peut appeler, dans la vie de Scheffer, sa seconde époque, celle qui se déroule entre l'abandon des petits cadres de chevalet et l'adoption des sujets sacrés. Une nouvelle voie s'ouvrait donc devant lui, où il pouvait, avec une manière plus magistrale, embrasser des sujets de plus longue haleine et de plus haute portée. D'après la règle invariable que l'art, comme la littérature, est le reflet fidèle des idées régnantes, de l'état des esprits et de la société, soit parce que, d'habitude, il s'y conforme et s'y moule en quelque sorte, soit parce qu'au contraire, leur faisant obstacle et contre-poids par une énergique réaction il annonce le prochain changement de cet état commun des âmes, Ary Scheffer n'avait pas échappé à l'Influence de cette école novatrice et passionnée qui s'appela le romantisme. Il lui prit du moins une de ses opinions fondamentales, parfaitement sage et judicieuse, à savoir que tout le génie du genre humain n'avait point été parqué entre le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et la Manche, et que des œuvres étaient écloses au delà de nos frontières qui pouvaient bien mériter d'être connues, étudiées, admirées peut-être. Initié, sur les genoux mêmes de sa mère, à l'étude des langues allemande, anglaise, italienne, il connut, il admira dans leur idiome original Dante et Pétrarque, Shakspeare et Byron, Goethe et Schiller ; et, tandis que des traductions conçues dans un esprit nouveau répandaient parmi nous la connaissance des chefs-d'œuvre étrangers, il résolut de traduire aussi par le pinceau ces œuvres que la plume s'efforçait de vulgariser en France.


Ary Scheffer - Francesca da Rimini en Paolo Malatesta aanschouwd door Dante en Vergilius 1854
Les ombres de Francesca di Rimini et Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile, Ary Scheffer, 1854 (première version en 1835). Hamburger Kunsthalle, Hambourg.

(…)
Avec l'esprit de son temps, plus ouvert à la morale qu'à la foi, Scheffer devait nécessairement s'efforcer de rajeunir, de transformer, suivant cet esprit, la peinture sacrée, et d'introduire la philosophie dans la religion. Il voulut donc traduire plutôt la doctrine que les actes des livres saints ; et, par exemple, dans le premier tableau que lui suggéra sa tentative, le Christ consolateur, il ne mit pas en action un des événements de la vie de Jésus, mais une de ses paroles « Je suis venu pour guérir ceux qui ont le coeur brisé et pour annoncer aux captifs leur délivrance. » Son Christ rémunérateur fut peint dans le même sentiment. Les amis de Scheffer, et je fus du nombre, applaudirent d'abord sans réserve à cette tendance imprimée à l'art religieux qui pouvait lui offrir un nouvel aliment, lui donner une nouvelle vie. Mais ils s'aperçurent bientôt, et Scheffer lui-même s'aperçut avant eux, que faire la peinture métaphysicienne, c'était l'ôter à son vrai rôle, à ses vraies conditions ; qu'elle doit être avant tout pittoresque qu'elle doit parler aux yeux une langue claire, précise, accessible à tous ; qu'un tableau qui demande une explication écrite n'est plus un tableau, mais un livre ; qu'en tout cas, au lieu de la clarté et de la chaleur d'un fait historique, un tel tableau a l'obscurité et la froideur d'une allégorie. Ces deux premiers ouvrages n'appartiennent évidemment ni à l'art italien, si grand de Giotto à Raphaël, alourdi par l'école des Carrache, tombé dans la bigoterie avec Carlo Dolci, mais ne sortant jamais de la tradition catholique ; ni à l'art hollandais, à celui de Rembrandt, par exemple, qui, protestant et patriote, a peint le Christ des gueux ; ni à l'art français, à celui de Poussin, clair et méthodique comme la philosophie de Descartes. Ils appartenaient plutôt à l'art allemand moderne, que nous voyons se consumer et se perdre dans des compositions nébuleuses, pleines sans doute de science et d'ingéniosité, mais antipittoresques, exigeant des volumes d'explications pour être à demi comprises même des initiés, où leurs auteurs enfin font avec le pinceau sur la toile, non de la peinture, mais de la littérature et de la métaphysique.


Ary Scheffer - The Temptation of Christ (1854)
La tentation du Christ, Ary Scheffer, 1854. Walker art gallery, Liverpool.

Peinture sur lave de Cornelia Scheffer-Marjolin, d'après Les Saintes Femmes au tombeau du Christ
de Ary Scheffer (1847). Sépulture Scheffer-Renan. Cimetière de Montmartre, XVIIIe ardt.

(…)
Une fois même il s'est fait sculpteur. C'est lorsqu'il perdit, en 1839, sa vaillante et respectable mère. Il voulut lui élever un tombeau de ses propres mains, et cette touchante piété filiale lui a fait produire une œuvre du ciseau que l'on peut hardiment placer à la même hauteur qu'aucune des œuvres enfantées par son pinceau. Là, il a prouvé comment c'est le cœur qui conduit la main, et nous espérons tous que, par un autre effort de piété filiale, pour rendre à son père le culte d'affection et de souvenir que sa mère reçut de lui, la fille qu'il éleva dans le goût et la pratique de tous les arts, faisant trêve à son immortelle douleur, dressera un pendant à ce mausolée du foyer domestique.
(…)

Louis Viardot

Gazette des beaux-arts,T.1, Paris, 1859



Christus consolator. Version gravée vers 1842 par Louis Pierre Henriquel-Dupont



A Theo van Gogh. Isleworth, lundi 3 ou mardi 4 Juillet 1876.


(…)
Vais-je avoir les petites gravures (comme celles qu'ont papa et maman) du Christus Consolator et Remunerator que tu m'as promis ? Écris vite si tu as un moment, mais envoie ta lettre à papa et maman, car mon adresse peut vite changer et ils seront les premiers à être au courant.
(…)

A Theo van Gogh. Isleworth, Samedi 8 Juillet 1876.

Mon cher Theo,
Ta lettre et les gravures sont arrivées ce matin comme une merveilleuse surprise alors que je sarclais les patates dans le jardin. Je te remercie des deux gravures, Christus Consolator et Remunerator sont déjà accrochées dans ma chambre, au dessus de mon bureau. Dieu est juste, et il utilise la persuasion pour ramener ceux qui sont sortis du droit chemin, c'est ce que tu pensais quand tu écrivais. Ça passera. Je suis un peu perdu, mais il y a encore de l'espoir. Ne te désole pas sur ta vie sans but, comme tu l'appelles, suis juste tranquillement ton chemin. Tu es plus pur que moi, et tu parviendras sans doute mieux et plus vite.
Ne te fais pas trop d'illusions à propos de ma liberté ; j'ai des liens de plusieurs sortes, des liens humiliants pour certains, et ça n'ira qu'en empirant avec le temps ; mais les mots écrits au dessus du Christus Consolator, « Il vient prêcher la délivrance aux captifs » sont toujours vrais aujourd'hui.
(...)

A Theodorus van Gogh et Anna van Gogh-Carbentus. Isleworth, vendredi 17 et samedi 18 novembre 1876.

(…)
Alors que je suis assis pour vous écrire dans ma chambre, tout est très calme et je regarde vos portraits et les gravures sur le mur, Christus Consolator et Vendredi Saint et Les Femmes au sépulcre et le Vieil Huguenot et le Fils prodigue de Ary Scheffer et le Petit bateau dans la tempête et une gravure, un paysage d'automne, Vue de la lande, que je tiens d'Harry Gladwell pour mon anniversaire, et quand je pense à vous et ensuite à tout ceux d'ici et de Turnham Green et Richmond et Petersham, etc., alors je ressens « Restez, Seigneur, et écoutez la prière que disait ma mère pour moi quand j'ai quitté la maison de mes parents : Père, Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal, et, Seigneur, oh si tu voulais seulement me faire, non seulement moi, mais nous tous, comme si nous étions le frère de mon père, un chrétien et un travailleur chrétien. Fini en moi le travail que Tu as commencé. Yahvé, fais de moi, lentement mais surement, pas à pas, et entièrement, le frère de mon père.
(…)

A Theo van Gogh. Dordrecht, Dimanche 21 Janvier 1877.

Les deux gravures du Christus Consolator que tu m'as données sont accrochées dans ma petite chambre – j'ai vu les peintures au musée, et aussi « Le Christ a Gethsemani » de Scheffer, qui est inoubliable, il y a longtemps cette peinture a ému tout autant Papa – et puis il y a une esquisse des « Douleurs de la terre » et divers dessins, et aussi une peinture de son atelier et, comme tu sais, le portrait de sa mère. Il y a d'autres belles peintures aussi, comme l'Achenbach et le Schelfhout et le Koekkoek et, parmi d'autres, un bel Allebé, un vieil homme devant un fourneau.
(…)

A Theo van Gogh. Amsterdam, lundi 21 et mardi 22 Mai 1877.

Cependant, c'est pitié qu'ici, comme dans les meilleurs chambre de l'Uncle Jan, il n'y ait rien d'accroché comme le Christus Consolator ou Ecce Homo. Ce dernier est surement accroché dans ta chambre, du moins je crois l'y avoir vu. Prends l'habitude de l'accrocher partout où tu vis, parce que c'est et un bienfait et un devoir.


A Theo van Gogh. Amsterdam, dimanche 9 Decembre 1877.

(…)
L'homme est pervers par nature, au mieux un voleur , mais, avec l'aide de Dieu il peut devenir plus fort, comme il advint à Paul le jour où il put dire avec franchise et confiance à Hérode, « Que ce soit bientôt ou que ce soit tard, plaise à Dieu que non seulement toi, mais encore tous ceux qui m'écoutent aujourd'hui, vous deveniez tels que je suis, à l'exception de ces liens. »
Merci pour ce que tu as écrit sur les lithos. Autre chose, tu as aussi envoyé deux paires du Christus Consolator et de son pendant, j'étais très heureux de les recevoir.
(...)

A Theo van Gogh. Amsterdam, lundi 18 et mardi 19 février 1878.

Mon cher Théo,
Merci pour ta lettre du 17 février, qui ne m'a pas fait un petit plaisir, car je languissais de la recevoir. Et je me mets à écrire aussitôt, mon vieux, parce que je pense à toi si souvent et que tu me manques, et chaque matin les gravures sur le mur de mon atelier me font penser à toi, Christus Consolator et son pendant, cette gravure sur bois d'après Van Goyen, Dordrecht, le portait du révérend Heldring, Le four par T. Rousseau et ainsi de suite, parce que je les tiens toutes de toi. C'est vraiment l'hôpital qui se moque de la charité quand tu  écris que je ne devrais pas t'offrir une gravure pour ta chambre de temps en temps, si je trouve quelque chose qui va avec ce que tu as déjà. Mais laissons ça, et écris moi si tu as ajouté quelque choses à ta collection, et continue là, parce que, vu la manière dont tu le fais, c'est du bon travail.
(…)


Christus remunerator, le "pendant" du Consolator. Peinture d'Ary Scheffer, 1848,
gravure d'Auguste Blanchard, 1851.


A Theo van Gogh. Amsterdam, mercredi 9 et jeundi 10 Janvier 1878.

(…)
Je suis récemment encore allé voir Hillen, la dernière fois que je lui ai rendu visite, je lui ai donné une paire de ces Christus Consolator et de son pendant, comme ceux que tu m'as donnés, et maintenant, ils sont déjà accrochés dans sa chambre, car il les a lui-même mis sous verre, et je suis content qu'ils soient accrochés là. Il faisait déjà sombre quand je suis arrivé et il m'a aussi montré son salon, c'est très agréable en effet et c'est une maison dont on se souvient. C'est un homme à qui on peut faire confiance, car il n'est pas compliqué, fait bien son travail et persévère depuis longtemps, je serai content quand j'en serai là.
(…)

A Theo Van Gogh. La Haye, jeudi 6, vendredi 7 juillet 1882

(…)
J'ai accroché d'autres gravures, et toutes très belles : Christus Consolator de Scheffer, une photo d'après Boughton, Le semeur et Les bêcheurs de Millet, Le buisson de Ruisdael, et de splendides grandes gravures sur bois d'Herkomer et de Frank Holl et Le banc des quêteurs de Degroux.
(…)

A Theo van Gogh. La Haye, vendredi 24 Novembre 1882.

(…)
Mais après le livre de Zola j'ai enfin lu Quatre vingt treize de V. Hugo. C'est un territoire totalement différent. C'est peint, je veux dire écrit, comme Decamps ou Jules Dupré, avec des expressions comme dans les vieux Ary Scheffers, comme le Larmoyeur et le Coupeur de nappe — ou les personnages à l'arrière plan du Christus Consolator. Je te recommande vivement de le lire si par hasard tu ne l'as pas déjà fait, parce que le sentiment dans lequel ce livre est écrit devient de plus en plus rare, et dans les nouveautés je ne vois vraiment rien de plus noble. Vraiment.
(…)

A Theo van Gogh. La Haye, vers le jeudi 15 février 1883.

(…)
Mais tu connais sans doute davantage la littérature française que moi. Le livre de Thomas a Kempis est aussi beau que, par exemple, Le Consolator d' Ary Scheffer ; c'est quelque chose qu'on ne peut comparer à rien d'autre. (…)

Correspondance de Vincent Van Gogh

L'ange annonçant la résurrection aux saintes femmes, peinture sur lave de Cornelia Scheffer-Marjolin, d'après Ary Scheffer.
Vers 1858. Sépulture Scheffer-Renan, Cimetière de Montmartre, XVIIIe ardt.



CHRIST CONSOLATEUR ET LIBÉRATEUR
(...)
Mais un appel nouveau de la bonté féconde,
Un mot plein de bienfaits régénère le monde :
Ce mot de siècle en siècle à notre âge apporté,
C'est un nom souverain, le tien, ô liberté !
Et le nègre bondit en agitant ses chaînes,
Et, libres par la foi, renaissent les Hellènes...

Quel est ce peuple tout sanglant
Que le Christ ranime et soulève,
Mais qui va retomber, car il porte à son flanc
La profonde atteinte du glaive ?...
Oh ! ce ne sera point en vain
Pologne, deuil de tous les braves
Qu'un moment la divine main
Aura fait tomber les entraves !
(...)

Et le Christ... Ah! son front sublime
Se voile à tant de maux méconnus et soufferts ;
La plaie à son front se ranime :
D'une main il brise les fers,
Et de l'autre il répand sur l'angoisse mortelle
Du sang réparateur la semence éternelle.

Qu'elle arrose ton front, ô toi dont le pinceau,
Dédaignant d'un art vain le domaine vulgaire,
Exalte et symbolise en ce divin tableau
Le drame auguste du Calvaire !
Et s'il est dans ton âme un penser douloureux,
Qu'il s'apaise et s'envole
Au regard bienfaiteur, au souffle généreux
De celui qui rassure et délivre et console !

Avril, 1837

Le Tasse à Sorrente, Térentia, le Monge des îles d'or : poèmes, nouvelle et impressions / par Jules Canonge. Précédés d'une lettre de M. A. de Lamartine. et d'une épître inédite / par M. Jean Reboul, C. Gosselin (Paris), 1839


Les douleurs de l'existence qui se transforment en s'élevant vers le ciel, peinture sur lave de Cornelia Marjolin-Scheffer, d'après une toile Ary Scheffer. Vers 1858. Sépulture Scheffer-Renan, Cimetière de Montmartre, XVIIIe ardt.



LES FUNÉRAILLES D'ARY SCHEFFER.

Celui que vous cherchez n'est plus ici, dit l'ange
Aux saintes femmes, là, debout, pour accomplir
Un devoir triste et doux, tenant chacune un lange,
O bon maître Jésus, prêt à t'ensevelir!...
N'est plus ici? Quel mot! en leurs yeux la surprise
Se mêle au chagrin, puis... sur tel front pâlissant
(Baume exquis, souverain des cœurs qu'un regret brise ! )
D'espérance et de foi perce un rayon naissant !

II

Oh! comme tout cela palpite sur la toile,
Tout cela vit, se meut, parle!... on voit une étoile
Sous un nuage épais soudain fuir, s'effacer ;
Ainsi, dans la main prête à sonder ce mystère...
La résurrection !... au souffle délétère
De la mort, le pinceau s'en vient à se glacer !...

(…)

IX

L'art spiritualiste et chrétien par essence,
Dans ta grande et belle âme, oui, tu sus le trouver.
Art qui, portant nos cœurs à croire, aimer, rêver,
Toujours, partout du mieux nous fait sentir l'absence !
Est-il si grand besoin d'être un fin connaisseur,
D'avoir de tout musée exploré chaque salle,
Pour savoir que chez toi, de hauteur colossale,
Le croyant domina l'artiste et le penseur?
Oh ! c'est la bonne part qui de toi fut choisie,
En ce siècle de bourse et de chemins de fer,
Où filtre, souillant tout, même la poésie,
Le réalisme!... honneur et gloire à toi, Scheffer!...

(…)

Essais poétiques de philosophie religieuse, par Athanase Forest, C. Vanier (Paris), 1860


Cornelia Scheffer-Marjolin, fille de l'artiste. Peinture de Ary Scheffer, 1854.
Musée de la Vie Romantique, Paris, IXe ardt.



Utilisé comme frontispice à un livre de prières, le Christ Consolateur a été "américanisé" à l'intention du public du Sud des États-Unis : on en a ôté l'esclave noir. L'occasion, en 1859, d'un poème anti-esclavagiste : On a prayer-book : WITH ITS FRONTISPIECE, ARY SCHEFFER'S "CHRISTUS CONSOLATOR," AMERICANIZED BY THE OMISSION OF THE BLACK MAN.

Une version du Christus Consolator au Minneapolis Institute of art avec une analyse du tableau

Sur le site La Tribune de l'art, la redécouverte du tableau du Minneapolis Institute of Art


Revue des deux mondes, T.17, octobre 1858. Ary Scheffer par Louis Vitet. L'article le plus conséquent écrit à l'époque, inspiration de tous les autres.

Ary Scheffer fut un des artistes les plus reproduits de son temps : Art in reproduction : Nineteenth century prints after Lawrence Alma-Tadema, Josef Izraëls and Ary Scheffer, Robert Verhoogt, Amsterdam University Press, Amsterdam, 2007.



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