lundi 4 avril 2011

Le sonnet d'Arvers



Bronze posé sur la maison natale de Félix Arvers. 12, quai d'Orléans, IVe ardt.

Un monument au pauvre Arvers !
Qu'a-t-il donc fait ? – Quatorze vers.




Discours prononcé le 22 juillet [1906] par M. Jolibois, conseiller municipal, au cours de la cérémonie d'inauguration de la plaque-médaillon de Félix Arvers posée sur la maison sise quai d'Orléans, 12, où naquit le poète.

Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs,
Toute ville s'honore en honorant ceux de ses enfants qui, par leur renom, ont fait rejaillir sur elle un reflet de leur propre célébrité.
Combien Paris, plus que toute autre cité, doit-il au souvenir des hommes qui, nés au milieu de ses merveilles, de ses passions et de ses enchantements, ayant respiré son charme incomparable et subi son prestige vivifiant, ont apporté leur pierre à l'édifice éternel de sa beauté, de sa puissance et de sa gloire !
Aussi le Conseil municipal est-il toujours prêt à s'associer  à toute manifestation qui consacre l'oeuvre et rehausse le nom de quiconque a mérité, soit dans les sciences, soit dans les arts, soit par la pratique des vertus civiques et sociales, l'honneur de se survivre et d'appartenir à la postérité.
(…)
C'est dans ce discret repli du coeur de la capitale qu'est né, le 23 juillet 1806, Félix Arvers, mort à Paris le 7 novembre 1850, à l'âge de 44 ans. On voit qu'il est vraiment des nôtres ; et l'on peut aisément se l'imaginer, enfant, collégien, jeune homme, jouant, passant, errant à travers le dédale pittoresque et suggestif de cette île et ne franchissant les ponts, plus tard, que pour aller se faire applaudir sur la scène de nos principaux théâtres.
D'après les documents inédits que vient de publier, dans le dernier numéro de « La Revue de Paris », le distingué directeur des « Annales romantiques », M. Léon Séché (...)
Qu'il me soit toutefois permis de m'arrêter sur l'un de ses poèmes, qui est dans le souvenir de tous, sur celui qui sauvera sûrement son nom de l'oubli, sur le fameux sonnet qu'il adressa à une femme restée longtemps inconnue ou, du moins problématique, et que, grâce à Léon Séché, nous savons maintenant être Madame Marie Nodier-Mennessier, fille de Charles Nodier.
Ces quatorze vers qui figurent dans les anthologies sous le titre significatif de Sonnet d'Arvers, immortalisent, et le mot ne vous semblera pas outré, à eux seuls le poète :

Permettez-moi de le relire :

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu ;
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas ! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et pourtant solitaire ;
Et j'aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Le murmure d'amour élevé sur ses pas.

A l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
"Quelle est donc cette femme ? " et ne comprendra pas !

Par quelle enviable et rare fortune cette petite pièce assure-t-elle à son auteur une telle certitude de gloire, alors surtout que la France est si opulente en grands poètes qui ont laissé d’impérissables et vastes chefs-d’oeuvre ?
Nul n’ignore que, selon le mot de Boileau, «un sonnet sans défaut vaut seul un long poème».
(...)
Celui d’Arvers présente-t-il ce caractère souverain, cette valeur absolue ? En un mot est-il irréprochable, au point de vue technique ?
A vrai dire, l’opinion des poètes, seuls et vrais juges en la matière, n’est pas unanime, la perfection d’un sonnet relève, pour nombre d’entre eux, de règles imprescriptibles, nécessaires et mathématiques. Et cette perfection s’obtient par la fusion intégrale, savante et mystérieuse d’éléments complexes : sujet, dessin des strophes, choix et entrelacement des rimes, composition harmonique des quatrains et des tercets, trait final contenu dans le dernier vers qui, au dire de Lamartine, doit résumer tout le poème et suffire à le faire comprendre et sentir.
«Pourquoi, écrit Théophile Gautier, si l’on veut être libre et arranger les rimes à sa guise, aller choisir une forme rigoureuse qui n’admet aucun écart, aucun caprice ? L’irrégulier dans le régulier, le manque de correspondance dans la symétrie, quoi de plus illogique et de plus contrariant ?»
Le sonnet d’Arvers semblerait donc entaché d’une imperfection, puisque l’auteur, contrevenant à l’une des lois les plus impératives, cette qui surveille et commande l’agencement des rimes, a précisément arrangé celles ci à sa guise.
Dans le premier quatrain, en effet, les rimes masculines et féminines sont croisées, tandis qu’elles ne le sont point dans le second, où les rimes féminines sont plates. De là, pour les puristes, discordance dans l’ensemble.
Ainsi, un sonnet sans défaut ne serait pas celui d’Arvers. C’est ce que l’un des humoristes les plus primesautiers, un des lettrés fort originaux de notre temps, l’excellent poète Roul Ponchon, s’est amusé à constater en en faisant, sous forme de parodie, et avec les mêmes rimes et la même facture, une fine et très alerte critique intitulée «Le sonnet du sonnet d’Arvers».
Pourquoi donc, malgré l’infraction que l’on y constate et qui n’est peut-être, au fond, qu’une négligence, ces quatorze vers sont-ils célèbres et confèrent-ils à Félix Arvers, parmi toutes ses autres œuvres, un titre personnel et immuable aux yeux de tous, alors que des sonnets impeccables sont encore oubliés ou méconnus ?
Ah! C’est qu’ici le poète, inspiré par une passion sincère, poignante et profonde, par une aspiration commune à tous, par l’amour, a fait moins une œuvre d’art pur qu’une œuvre d’humanité. Ému par le sentiment qui l’angoissait, il a été émouvant ; en parlant pour lui même il a fixé une émotion ressentie par beaucoup d’autres hommes, qui retrouvaient dans ses vers l’écho précis, l’expression ennoblie de leur désir et de leur souffrance.
Et puis, il faut le reconnaître, qu’importait et qu’importe encore à ses lectrices l’observance plus ou moins stricte de règles dogmatiques! Pour elles, un souffle tout-puissant, un mirage éternel, un séducteur invincible plane dans ce sonnet : l’amour.  Et cela suffit pour que les femmes, et aussi les jeunes amants apprennent et redisent toujours le sonnet d’Arvers.
(...)
Bulletin municipal officiel de la ville de Paris, n° 209, samedi 4 août 1906


 
Est-il tourment plus rigoureux
Que de brûler pour une belle
Et n'oser déclarer ses feux ?
Hélas ! Tel est mon sort affreux !

Quoique je sois tendre et fidèle,
L'espoir qui, des plus malheureux,
Adoucit la peine mortelle,
Ne saurait me flatter comme eux.

Et ma contrainte est si cruelle
Que celle vers qui vont mes vœux
Lira ce récit amoureux
Sans savoir qu'il est fait pour elle.


Le sonnet d'Arvers... à revers

Son con est sans secret, sa vulve est sans mystère,
Mais j'ai pris cette nuit, en un moment son cul.
Elle était endormie, aussi j'ai dû me taire,
Celle à qui je l'ai fait n'en a jamais rien su.

Hélas ! j'aurai piné près d'elle inaperçu,
Sans me l'asticoter et pourtant solitaire ;
J'aurais planté mon bout dans cette jeune terre,
Et sans rien demander elle aura tout reçu.

En elle, à qui Dieu fit la fesse douce et tendre,
Je suivrai mon chemin, me distrayant d'entendre
Ce bruit que dans la glaise on fait à chaque pas.

Au postère de voir ma semence fidèle
Elle dira, vidant son cul tout rempli d'elle :
"Quel est donc ce blanc d'œuf ?" et ne comprendra pas...


 Victor Hugo
(
Cité par Jean-Paul Goujon dans son Anthologie de la poésie érotique française, Ed. Fayard 2004)



C’est à la femme à barbe, hélas ! qu’il est allé,
le cœur de ce garçon, coiffeur inconsolé.
Pour elle, il se ruine en savon de Thridace.
Ce lait d’Hébé (que veut-on donc que ça lui fasse ?)
ce vinaigre qu’un sieur Bully vend, l’eau (pardon !)
de Botot (exiger le véritable nom),
n’ont pu mordre sur cette idole de la foire.
Et s’il lui donne un jour la pâte épilatoire
que vous savez, l’Enfant murmurera tout bas :
Quelle est donc cette pâte ? et ne comprendra pas.

Germain Nouveau. Dizains réalistes, 1876



A MADEMOISELLE X

De cette simple et tendre et chaste comédie
Vous êtes l'héroïne, et je vous la dédie.
C'est un roman d'amour qui se passe entre nous,
Un rêve — plein de vous, mais ignoré de tous, —
Car j'ai si bien caché ce que j'ai voulu taire,
Que mon autre au grand jour gardera son mystère,
Et, même en la voyant, vous ne saurez jamais
Que c'est vous dont je parle, et que je vous aimais.
Edouard Pailleron. Poème mis en exergue à la pièce « La Souris ». 1ère représentation : 1887

SONNET DE REVERS ou l'angoisse d'un ministre déchu

Ma vie à fonds secrets pleure le Ministère,
Le pouvoir éternel en un moment conçu ;
Le mal n'est pas mortel et je saurai le taire,
Car, si je fus ministre, on n'en avait rien su

Ainsi j'aurai passé, ministre inaperçu,
Aussi rampant qu'un vers et non moins solitaire,
Et je vais retourner à mes pommes de terre,
Osant tout demander, mais ayant peu reçu.

L'électeur, quoique Dieu l'ai fait naïf et tendre,
Va peut-être à présent m'oublier sans entendre
Les appels du scrutin placardés sur ses pas.

A l'austère devoir correctement fidèle,
Demain Périer va dire, en lisant la nouvelle :
Quel était ce Monsieur ? et ne comprendra pas

Jean Goudezki, Le Chat noir, 15 décembre 1894




Es-tu bien sûr, ami, qu'elle n'ait pu l'entendre,
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas ?

Une femme, crois moi, sait toujours le comprendre,
Ce langage muet qui se parle tout bas.

Si Dieu l'avait créée à la fois douce et tendre,
Elle adû se livrer de douloureux combats,
Et tenir à deux mains son cœur pour le défendre
Contre un amour si vrai qu'il ne se trahit pas.

A l'austère devoir pieusement fidèle,
Sa vertu la plus haute était peut-être celle
De paraître insensible et distraite à ta voix

Penses-tu seul avoir un secret dans ton âme ?
Il est sur cette terre, ami, plus d'une femme
Qui garde un front serein tout en traînant sa croix !


Cécile Coquerel, in "Matin et soir", 1896?




SUR LE SONNET INTITULÉ "TOMBEAU", DE MONSIEUR STÉPHANE MALLARMÉ

Sa vie a son secret, sa plume a son mystère :
Un sonnet sibyllin en un moment conçu.
N'en cherchez point le sens, lecteurs, sachez vous taire,
Car celui qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas! il eût passé de vous inaperçu.
Toujours à vos côté et pourtant solitaire,
Si Sergines n'était sur cette pauvre terre
Pour demander encore après avoir reçu.

Aussi, quoique l'auteur l'ait fait subtil et tendre,
Il ira son chemin, tranquille, sans entendre
Le murmure d'Oedipe élevé sur ses pas ;

Tandis que curieux et fidèle et profane
Diront, lisant les vers du poète Stéphane :
« Quelle est donc cette énigme ? »—et ne comprendront pas.

Francis de Champflorin. 1897


LE SONNET DU SONNET D’ARVERS
Le sonnet de Félix Arvers a son mystère.
Les uns le trouvent bien, les autres mal conçus.
Je suis de ces derniers et ne saurais m'en taire,
Car ce fameux sonnet n'est pas d'un métier su.

Il aurait pu passer cent fois inaperçu
Dans un tas de sonnets, mais il est solitaire.
C'est ainsi qu'il a fait tant de potin sur terre,
Et que par les badauds il fut si bien reçu.

Certes, on y voit des mieux à quoi l'auteur veut tendre :
D'une il est amoureux qui ne veut pas entendre,
Et dans son désespoir on le suit pas à pas.

Mais le poète doit toujours rester fidèle
A la règle. Ainsi donc puisque Arvers fait fi d'elle,
Son sonnet en tant que sonnet n'existe pas. (1)
(1) Pas plus que celui ci.
Raoul Ponchon. le Courrier Français, 24 avril 1904


 

J'ai refait le sonnet d'Arvers
A l'envers
Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère,
Un déplorable amour en un moment conçu ;
Mon malheur est public, je n'ai pas pu le taire :
Quand elle m'a trompé, tout le monde l'a su.

Aucune homme à ses yeux ne passe inaperçu ;
Son cœur par-dessus tout craint d'être solitaire ;
Puisqu'il faut être deux pour le bonheur sur terre,
Le troisième par elle est toujours bien reçu.

Seigneur vous l'avez faite altruiste et si tendre
Que, sans se donner toute, elle ne peut entendre
Le plus discret désir murmuré sous ses pas.

Et, fidèle miroir d'une chère infidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
« Je connais cette femme »... et n'insistera pas.
Maurice Donnay. Revue Le chat noir.
 

Ami, pourquoi nous dire avec tant de mystère
Que l'amour éternel en votre âme conçu
Est un mal sans espoir, un secret qu'il faut taire,
Et comment supposer qu'elle n'en ait rien su ?

Non, vous ne pouviez point passer, inaperçu,
Et vous n'auriez pas dû vous croire solitaire.
Parfois les plus aimés font leur temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pourtant, Dieu mit en nous un cœur sensible et tendre.
Toutes, dans le chemin, nous trouvons doux d'entendre.
Le murmure d'amour élevé sur nos pas.

Celle qui veut rester à son devoir fidèle
S'est émue en lisant vos vers « tout remplis d'elle » ;
Elle avait bien compris... mais ne le disait pas.





 LE SONNET D'ARVERS A REVERS

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère
Un amour insensé subitement conçu.
Plein de désir, d'espoir, je ne pouvais me taire
Celle dont je suis fou du premier jour l'a su.


Comment de l'être aimé passer inaperçu ?
A ses côtés comment se croire solitaire ?
Pour moi j'aurai goûté ce bonheur sur la terre,
Osant tout demander, d'avoir beaucoup reçu !


Dieu ne l'avait pas faite en vain jolie et tendre
Elle a, dans son chemin, trouvé très doux d'entendre
Les aveux qu'un amant murmurait sur ses pas.

A l'austère devoir, j'en conviens, peu fidèle,
Elle saura, lisant ces vers tout remplis d'elle,
Le nom de cette femme et ne le dira pas!

Louis Aigouin, 1896




Mon cher, vous m'amusez quand vous faites mystère
De votre immense amour en un moment conçu,
Vous êtes bien naïf d'avoir voulu le taire
Avant qu'il ne fût né, je crois que je l'ai su.

Pouviez-vous, m'adorant, passer inaperçu,
Et, vivant près de moi, vous sentir solitaire?
De vous il dépendait d'être heureux sur la terre
Il fallait demander et vous auriez reçu.

Apprenez qu'une femme au coeur épris et tendre
Souffre de suivre ainsi son chemin sans entendre
L'aveu qu'elle espérait trouver à chaque pas.

Forcément au devoir on reste alors fidèle.
J'ai compris,vous voyez, «ces vers tout remplis d'elle ».
C'est vous, mon pauvre ami, qui ne compreniez pas !

Notice sur Félix Arvers, Louis Aigouin. Paris, Ollendorff, 1896


SONNET D’ART VERT

Ma toile a son secret, mon cadre a son mystère.
Paysage éternel en un moment conçu.
Suis-je un pré? Suis-je un bois? Hélas ! je dois me taire,
Car celui qui m'a fait n'en a jamais rien su.

Ainsi je vais passer encore inaperçu,
Toujours assez coté, mais pourtant solitaire.
Et mon auteur ira jusqu'au bout la terre,
Attendant la médaille et n'ayant rien reçu.

Le public, quoique Dieu l'ait fait gobeur et tendre,
Va filer devant moi, rapide, sans entendre,
Malgré mon ton gueulard, mes appels, sur ses pas,

Au buffet du Salon, pieusement fidèle,
Il va dire, en buvant son bock tout rempli d'ale :
« Quels sont ces épinards? » et ne comprendra pas. 



SONNET

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère,
Mon amour banal fut comme un autre conçu.
Le mal est réparé : pourquoi donc vous le taire ?
Celle qui me l'a fait l'a tout de suite su.

Non ! Je n'ai point passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et jamais solitaire,
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre
N'ayant rien demandé, mais ayant tout reçu.

Pour elle, qui n'est point très douce, ni très tendre,
Elle suit son chemin et se fiche d'entendre
Un murmure d'amour élevé sous ses pas.

A l'austère devoir constamment infidèle,
Sans avoir lu ces vers où je n'ai rien mis d'elle :
"Mais c'est moi !" dira-t-elle, et ne comprendra pas !

Jules Renard. Journal, 20 juillet 1906



SONNET SUR LA FLOTTE ALLEMANDE

Guillaume a son secret, la flotte a son mystère,
La fin d'un grand dessein, imprudemment conçu
Le coup fut plutôt rude, aussi dut-on le taire,
Et les épais Teutons n'en ont encor rien su.

L'échec a donc passé pour eux inaperçu ;
Rien n'est venu troubler leur orgueil solitaire,
Car la flotte battue a regagné la terre,
N'osant rien laisser voir de ce qu'elle a reçu.

Bien que pour elle enfin, le Boche soit très tendre,
Il va, gardant l'espoir, confiant, sans entendre
Le bruit des gros obus éclatant sous ses pas,

A cette illusion, obstinément fidèle,
Il dira, si l'on vient à lui mal parler d'elle :
« Quelle est donc cette flotte ?» et ne comprendra pas.


Ma cave a son secret, ma cagna son mystère,
Magnifique gourbi par un poilu conçu.
Dans quel département? Hélas! je dois le taire,
Personne, à la maison, n'en a jamais rien su.

Aussi j'ai pu loger longtemps inaperçu,
Errer dans les boyaux comme un ver solitaire;
Et j'aurai disparu près d'un an sous la terre,
Attendant un colis que je n'ai pas reçu...

Parfois, la nuit, je vais, faisant un rêve tendre.
Regardant une étoile au ciel et sans entendre
Un ronflement sonore élevé sous mes pas..,

A son petit café pieusement fidèle
L'embusqué, dégustant son bock tout rempli d'ale
Dira : « Quelle existence ! » et ne comprendra pas.



VERS LA VICTOIRE

La France a son secret, et Joffre a son mystère :
Un plan prestigieux, rapidement conçu.
Ayons donc bon espoir, mais chut! Sachons nous taire,
Car les lourds Allemands n'en ont jamais rien su.

L'outrecuidant kaiser ne s'est pas aperçu
Que la France abhorrée était robuste et fière,
Et qu'ayant des amis, n'étant plus solitaire,
Son espoir radieux ne serait pas déçu.

Vers le succès final qu'elle est en droit d'attendre,
Notre France, que Dieu a faite douce et tendre,
Mais vaillante et sans peur, marchera pas à pas

En dépit des Teutons et de leur barbarie.
Et le kaiser dira, dans sa sombre folie:
«Quelle est donc cette énigme?», et ne comprendra pas.


LE SONNET DU REVERS

Le Boche a son secret, mais il est sans mystère,
Un orgueil colossal depuis cent ans conçu.
Le mal est sans espoir; il aurait dû le taire.
Or, depuis Iéna, le monde entier l'a su.

Pour lui, le droit humain passait inaperçu;
Toujours à nos côtés et pourtant solitaire,
Il aura jusqu'au bout fait son bluff sur la terre,
Osant tout demander, n'ayant que trop reçu.

Comme Dieu l'a fait lourd, sans douceur et peu tendre,
Il allait son chemin, inconscient, sans entendre
Le murmure de haine élevé sur ses pas;

A l'atroce Kultur servilement fidèle,
Il disait, souffleté par nos cinglants coups d'aile:
«Qu'ont-ils donc contre nous?»... et ne comprenait pas.

H. Goulley. (1915)

Âme a secret, Vie a mystère
Durable amour vite conçu.
Mal sans espoir, donc dus la taire,
Celle qui le fit rien n'en su.

Tristan Bernard



Félix Arvers et le fameux Sonnet, Par M. Louis Fréchette. 1899 contient deux autres parodies du sonnet :

Pour tous — Elle excepté — ma vie a son mystère :
Un amour éternel depuis longtemps conçu.
Mon cœur en débordait ; pourtant j'ai dû le taire :
Nul profane ici-bas n'en a jamais rien su. 

A distance je vis, discret, inaperçu ;
On me croit en ce monde un passant solitaire ;
Mais j'eus plus que ma part de bonheur sur la terre ;
Nul ne saura jamais tout ce que j'ai reçu.

Jamais femme ne fut plus qu'elle douce et tendre ;
Je la suis en silence, et sans paraître entendre
Les murmures flatteurs soulevés sur ses pas.

Et, tandis que, dans l'ombre, à mon secret fidèle,
Je cache à tous les yeux ces vers tout remplis d'elle,
Plusieurs s'étonneront, mais ne comprendront pas.





Non, non, votre secret n'était pas un mystère.
Cet amour éternel discrètement conçu,
Vous avez, ô poète, eu grand tort de le taire :
Celle qui l'inspirait l'a toujours fort bien su.

Vous n'avez point passé près d'elle inaperçu ;
Votre âme à ses côtés n'était pas solitaire ;
Mais vous avez perdu votre temps sur la terre :
N'osant rien demander, vous n'avez rien reçu. 

Les femmes ont le cœur aussi subtil que tendre :
Pas une, soyez sûr, qui marche sans entendre
Le moindre des soupirs exhalés sur ses pas. 

A l'instinct de leur sexe uniquement fidèles,
Des centaines, croyant vos vers tout remplis d'elles.
Raillaient votre silence et ne vous plaignaient pas. 


Le prétexte du monologue "Le sonnet d'Arvers" de Marc Sonal (1884) est une double modification du sonnet.


 



 LE GARÇONNET D'ARVERS

Mon homme a son secret, ma vie a son mister
Un amour bien séant en un moment conçu.
Le mâle est sans espoir aussi z'ai dû lui taire
Le goût qu'a son endroit... ze suis déçu déçu!


 
Hélas! z'aurai passé cent fois inaperçu
Cil battant et le vent en poupe pour Cythère
Et z'aurai jusqu'au bout hésité sur la terre
A lui offrir mon siège ou à m'asseoir dessus.

Pour lui quoique le ciel l'ait fait blond, l'ait fait tendre
Il ira son train train, distrait, et sans attendre
A l'autel de Vénus brûlera ses appâts.

Et puis -- C'est inouï ! porté sur la femelle ! --
Dira, lisant ces vers que pour lui j'entremêle :
"Quel est donc cet infâme ?" et ne comprendra pas.


Roland Bacri (1960)







6 commentaires:

  1. Obrigado a Paris Myope por ter colocado no meu caminho este soneto. Aparecera-me no início do liceu: estava incluído no livro da disciplina de francês e, recordo-me, o romantismo exacerbado e a força dos dois últimos versos -- uma verdadeira obra-prima -- embalaram durante algum tempo viagens da minha imaginação adolescente. Nem me lembrava do nome do autor e só voltei a encontrar o poema hoje.

    MJ, Porto - Portugal

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  2. Traduction du commentaire de MJ, Porto par André Fantelin:
    "Merci à Paris Myope d'avoir placé ce sonnet sur mon chemin. Je l'ai découvert au début de mes études au lycée: il était inclus dans le livre de français et, je me rappelle que, le romantisme exacerbé et la force des deux derniers vers - un vrai chef-d’œuvre - bercèrent pendant quelque temps les voyages de mon imagination adolescente. Je ne me rappelais pas du nom de l'auteur et je retrouve le poème seulement aujourd'hui.
    A.F.

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  3. Arvers (le feuilleton)
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    Fréchette est marchand de mystère,
    Ses modèles sont bien conçus :
    Et (je ne vais point vous le taire)
    Je pense l'avoir toujours su.

    Loin de passer inaperçu,
    Il brille comme un solitaire ;
    Rares les citoyens sur terre
    Qui mieux que lui seraient reçus !

    S'il veut qu'avec lui l'on soit tendre,
    Il lui suffit de faire entendre
    La lyre accompagnant ses pas.

    En devenant sa mie fidèle,
    La muse veut qu'il ait tout d'elle,
    Même ce qu'elle ne sait pas.

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Quelqu'un connaîtrait-il le pastiche qu'en a fait Roland Bacri et qui s'intitulait "Le garçonnet d'Arvers ?

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  6. Je viens de l'ajouter avec un peu de retard

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